Jean-François VEILLARD    TOTEMSd’outre-vie

Quand on vient d’une famille d’antiquaires, et ce sur plusieurs générations, ça marque à haute vie son homme ! Et si, en outre, on a la chance d’avoir un grand-père peintre amateur, on ne s’étonne pas, qu’enfant, on illustre à tout va. Plus tard, aux Beaux-arts d’Orléans, on hésite, très naturellement,  entre peinture et sculpture. Mais, très jeune, le travail à la bûche de bois a tranché dans le vif, avec déjà, très présente, une très libre polychromie qui jamais ne cessera ! Jean-François Veillard, sculpteur habité de son état, apprécie l’art populaire sans frontière. Ayant œuvré au Gabon, il apprécie aussi l’art africain, et l’art vécu et chamanique est son territoire de vérité. Naguère, le fabuleux Manège de Petit Pierre l’a marqué, comme l’art aigu de Chomo, les œuvres de Raymond Humbert à Laduz, et encore l’immense Georges Jeanclos, dont les immémoriales terres sculptées, aux Beaux-Arts de Paris, l’ont fasciné.

Chez Jean-François Veillard, née des tripes telluriques et du mental enfoui dans les profondeurs les plus inventives, la spontanéité est première. Elle n’a jamais cessé de l’être. Et chaque œuvre nouvelle secoue l’étendue, assaille les routines visuelles, et semble découvrir le monde. Elle s’émerveille d’exister simplement et purement, en toute authencité, en toute innocence, en toute surgissante beauté sauvage, toujours inattendue et toujours d’une éblouissante fraîcheur.

Aux confins de la fragile modernité, ce créateur singulier animalise subtilement l’humain et son art agissant réveille ainsi nombre d’archaïques pulsions trop oubliées des temps présents. Il crée en rituel d’apparition. Si le savoir-faire n’est pas son affaire, le savoir-créer est son vrai et grand territoire !

Jean-François Veillard, superbe animiste contemporain, apprend toujours en cherchant seul, en cherchant sans trouver… L’œuvre nécessairement impensable, en horizon fascinant, en recherche mystique véritable, relie chez lui magie et sacralité. Plus que la pensée humaine, et plus que l’intellect fatigué, c’est la nature, visible et invisible, végétale et animale, intemporelle et totémique, qui le possède et l’inspire crûment. A travers lui, inoubliées, les voix d’ancêtres s’expriment en totale liberté.

Jean-François Veillard n’a pas d’ego, et les sources syncrétiques et plurielles des cultures du monde agissent et le traversent sans entrave. Il crée à vif, à ciel ouvert, et son œuvre entière n’existe que par la vraie pure nature. Il ne l’achève pas, il l’accomplit par tous les bouts rudement travaillés. Il semble avoir pris la création en cours de route, comme s’il dégageait ses créatures crues d’une gangue qui les laisserait là, juste à portée de regard et de vie. Il crée ainsi d’infimes et merveilleuses demeures de bois, des totems sexués, et de somptueux nids de chair vive, libres de masse et de lourdeur.

Le scabreux ne l’effraie pas, pas plus que la sauvagerie retenue, les affres du désir ou l’ironie la plus libertaire. Sa chromatique solaire, puissante et raffinée adoucit l’âpre et le rugueux de chaque sculpture. On devine que l’intime relation de l’artiste avec la matière-bois est première, rude et gestuelle, en contact fusionnel avec les forces telluriques du monde, et de ses fabuleux secrets.

On regarde ses secouantes créations, nos doubles audacieusement libérés, effarés et lointains, ces êtres d’hier et de demain, pour avoir enfin l’âge de l’humanité.

Et pour vivre en liberté dans les racines du grand rêve.

Christian Noorbergen